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Le rupellien
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23 novembre 2014

Stupeur et tremblement

De retour d'Auschwitz, je récupère des heures de sommeil perdues. Je rends grâce à Dieu pour les jeunes qui ont été tellement présents à cette démarche de mémoire. De la marche en silence vers Birkenau où pendant quarante minutes on n'entendit que le bruit des pas sur la route, à leur mobilisation spontanée dans le train quand ils ont récupéré et trié toute la nourriture et la boisson qui nous restait pour la livrer à la Croix Rouge en arrivant à la Gare de l'Est. On dit : " les jeunes..."

Je pense au témoignage de Jean-Marie, un prêtre atteint d'une maladie musculaire qui gagne son corps et affaiblit déjà sa voix. Il était un soir au milieu des jeunes d’Évry et commentait la pièce "Yossel Rakover parle à Dieu" qu'il avait jouée autrefois. Un Juif, prisonnier du ghetto de Varsovie, y dit à Dieu : "Je t'aimerai envers et contre toi". Et maintenant notre ami entend Dieu lui retourner la même phrase : "Je t'aimerai envers et contre toi". Les lycéens de mon école, probablement les moins "cathos" du voyage, ont communié avec ce prêtre blessé. C'était très beau.

Jean-Marie, qui avait "fait" plusieurs Train de la Mémoire, nous disait qu'il était passé par la stupeur et la fascination avant d'intégrer vraiment cette expérience. Moi qui en était aussi à mon quatrième voyage à Auschwitz je ne pouvait que valider son analyse. La stupeur demeure. On ne peut pas s'habituer à ce qu'on voit. C'est ce que nous a rappelé Jérôme, un autre prêtre et professeur de lettres, qui a conclut sont homélie avec une citation de Péguy : "ne soyez pas des âmes habituées."

La stupeur demeure quand on contemple les ruines fantomatiques des installations de mise à mort, quand on imagine l'enfer que des hommes ont fait subir à d'autres hommes, quand on croise dans une galerie du musée tous ces regards encore plein de leur humanité des prisonniers photographiés lors de leur entrée dans le camp et dont les dates inscrites sous chaque photo nous apprennent que la plupart n'ont pas tenu plus de deux mois. Stupeur.

Alors, il y a eut cette question d'une jeune qui portait sur notre conscience face au mal. J'étais sur l'estrade de l'auditorium, au milieu des intervenants et je me suis tourné sur ma gauche vers les profs de philo. C'est Claire qui était à côté de moi qui a essayé de répondre. Elle a plutôt fait part de ses propres interrogations et je sentais moi aussi que j'étais traversé par la question. Comment maintenir la lumière intérieure dans les ténèbres d'Auschwitz ? Un détail m'a frappé, sa main qui tenait le micro tremblait légèrement.

Le lendemain je tombais en arrêt devant des talits, des châles de prière, qu'on a retrouvés dans les entrepôts appelés "Canada" et qui sont maintenant exposés derrière une vitrine, à côté d'autres vitrines où se trouvent des lunettes, des chaussures, des valises et même des cheveux. Lors de mes visites précédentes, je ne les avais pas vraiment remarqué. Je regarde les franges des talits, des petits fils qui s'entrecroisent et qui sont censés rappeler les commandements de Dieu. Pas seulement les "dix commandements" mais les multiples "mitsvot" concrètes qui inscrivent dans la vie quotidienne l'amour de Dieu et du prochain.

Le tremblement (quake !) de la conscience vient maintenant se mêler dans mon esprit à ces fils qui semblent si légers qu'un souffle les emmêlerait. Je me dis : "Seigneur, que tes commandements nous gardent."

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